Problématique générale

Mon blog rassemble l'ensemble de mes recherches, réflexions et interrogations autour de la question de la transculturalité dans ma pratique au quotidien de travailleur social auprès de personnes migrantes, notamment des femmes isolées avec leurs enfants. Je puise la plupart de mes sources dans les recherches effectuées en psychiatrie transculturelle, c'est-à-dire le fruit d'un croisement entre la psychanalyse, l'ethnologie et l'anthropologie.

mardi 7 avril 2009

Devenir mère en exil

Durant la grossesse, pour toute femme, des processus psychiques -tels que identification, gratitude et idéalisation- sont à l'œuvre qui mettent la mère de la future mère à une place particulière (cf. Bydlowski, 1997). Pour une majorité de femmes migrantes, la place donnée à la mère pendant la grossesse est de fait souvent plus importante que dans nos sociétés, qui avec les progrès de la (sur?)médicalisation de la période périnatale, tendent d'un point de vue concret à éloigner les mères, d'où la vulnérabilité psychique et les risques parfois exacerbés en ce qui concerne la relation précoce au bébé.
L'enveloppe culturelle permet en effet à la jeune mère de faire émerger ses propres ressources. La mère, un substitut maternel, les "commères", en tant que mères expérimentées, portent la femme primipare en lui transmettant les pratiques de maternage, les gestes et techniques qui vont véritablement l'initier à son nouveau rôle de mère. Selon Moro, Mestre et Réal, l'expérience de la grossesse puis de la parentalité fait appel à une "dialectique entre la transmission par le groupe des pratiques de maternage et les compétences personnelles de la mère". Si la transmission du groupe disparaît, ce sont les compétences de la jeune mère qui sont presque exclusivement sollicitées, d'où des changements culturels et psychologiques importants, comme ceux qui ont été à l'oeuvre dans notre société occidentale avec la progression de l'individualisme.
Un des objectifs de la consultation transculturelle pour ces femmes est de se réapproprier avec le groupe thérapeutique, les éléments de son histoire codés culturellement, c'est-à-dire en rompant leur isolement et en donnant un sens culturel à leurs conflits psychiques.

Pour approfondir ce sujet, cf. l'ouvrage "Maternités en exil" cité dans mes ouvrages favoris.

Autour de la notion de culture

L'étude des cultures dites "primitives", dans la mesure où elles constituaient a priori la quintessence de la vie sociale et culturelle, a longtemps été l'unique objet de recherche des ethnologues. Or, avec des chercheurs comme Bastide, cette vision a pu être renouvelée en faveur d'un intérêt pour les phénomènes d'acculturation, qui permettent de mieux appréhender la culture, vue désormais comme un système en perpétuel changement.
Selon D. Cuche, on pourrait parler de "culturation" plutôt que de "culture", pour mettre en évidence le processus dynamique inhérent à toute culture. Contrairement au postulat de Levi-Strauss d'une culture en termes de "structures", Bastide relie au concept de culture un triple mouvement de "structuration", "déstructuration" et "restructuration". Le phénomène d'acculturation résulte de ce processus et permet une recomposition culturelle qui peut toucher le sujet à deux niveaux : on peut parler d'acculturation matérielle quand ce sont les valeurs et représentations -qui appartiennent à la consience psychique -, et d'acculturation formelle quand elle touche les "structures de l'inconscient "informées" par la culture".
Le concept de "métissage" a depuis peu remplacé le terme d'"acculturation" avec une extension de sens pour décrire ce processus dynamique qui permet au sujet de faire coexister les éléments de sa culture d'origine avec les composantes de la culture dominante, dans une recomposition qui favorise l'intégrité des anciens éléments. "Le métissage n'est pas la fusion, la cohésion, mais la confrontation et le dialogue, sans cesse en mouvement" (Laplantine et Nouss, 1997 et 2001).

Il est important d'insister sur le fait que toute culture est perpétuellement en mouvement, qui plus est celles des sociétés connaissant une forte émigration. Le concept de "culture d'origine" est à ce titre critiquable, car il peut faire référence à une origine nationale, régionale, ethnique, locale. Par ailleurs, ce concept donne l'illusion d'une culture qui serait transposable, comme un bagage qu'on transporterait du pays d'origine au pays d'accueil (cf. Abdelmalek Sayad sur cette question).
Je tiens donc ici à préciser que si j'emploie ce terme dans mon blog, c'est pour des raisons de facilité de langage...
Voir sur ce sujet l'ouvrage de Denys Cuche, "La notion de culture dans les sciences sociales"(cf liste de mes ouvrages favoris). Merci à Mon professeur M. Hubert pour l'info!...